PRÉSENTATION
«J’ai fait un rêve», moi aussi. J’ai rêvé d’une mixité des genres, notamment dans le domaine des images, quelles soient ou non narratives, de cinéma ou de bande dessinées.
C’est la décennie d’après 68 qui a amorcé un processus de féminisation dans la création visuelle. C’est elle qui a eu le mérite d’apporter quelques alternatives à la représentation dominante des sexes et des rapports de sexe, à l’écran et ailleurs. C’est cette décennie qui a permis de donner une voix à des personnages féminins différents des traditionnelles maman, vamp et putain.
C’est seulement après 68 que certains noms de femmes ont commencé à émerger. Un cinéma lié a ce qu’on ap- pellera dans les années 70 «le cinéma des femmes».
Par rapport à ce mouvement, la «bande dessinée des femmes», elle, reste à faire, même si les années 70 l’ont aidée à apparaître et à s’affirmer.
Aujourd’hui en France, si des talents féminins surgissent chaque jour dans le 9e art, ils sont hélas encore trop souvent prisonniers des représentations dominantes, comme on a pu, pendant cinq ans, en faire le constat au sein d’Artémisia. À l’heure où nous sommes, l’imaginaire et les images des femmes semblent toujours être à libérer, toujours à connaître et reconnaître. Nous y travaillons car il nous semble que l’émancipation des femmes passe aussi par la libération de leur imaginaire. Cela ne va certes pas sans risque puisque, comme l’écrivait la trop obs- cure Marie Bashkirtseff, artiste géniale morte prématurément : «La femme qui s’émancipe ainsi (par la création artistique), surtout si elle est jeune et jolie, devient immédiatement une créature singulière, remarquée, blâmée, toquée, et, par conséquent, encore moins libre qu’en ne choquant pas les usages idiots de la société.»
C’est contre ces «usages idiots», qui ne cessent pourtant de se reproduire, que veut se battre Artémisia, placée sous le double patronage de l’artiste caravagesque Artemisia Gentileschi et de la déesse des femmes, Artémis, qui veille avec arc et flèches sur les zones de passage et, nous l’espérons, sur celle-ci.
Chantal Montellier pour Artémisia
 
LA CHARTE DU JURY D’ARTEMISIA
Le jury du prix Artémisia resserre désormais sa sélection en se concentrant sur des albums réalisés intégralement par une ou plusieurs femmes.
. Il tient à insister sur la valeur de découverte du prix et tendra à récompenser des auteures en début de carrière plutôt qu’à consacrer des valeurs confirmées.
. Il conserve un principe de sélection annuelle, de janvier à décembre inclus.
. Il annonce une liste d’une dizaine d’albums autour du 10 décembre.
. Le prix Artémisia est proclamé le 9 janvier, date anniversaire de la naissance de Simone de Beauvoir, et remis quelques jours plus tard.
 
LA SÉLECTION 2013
 
 
 
 
 
JE SUIS BOURRÉE MAIS JE T’AIME QUAND MÊME d’Anaïs Blondet . Onapratut
Jour et nuit, quelque soit l’heure, l’héroïne de ces petits mo- ments de vie est bourrée comme un coing. C’est son seul plaisir, car les mecs ne se bousculent pas dans sa vie et comme l’alcool rend moche, ça ne s’arrange pas. Sur cette trame trash et d’une rare auto- flagellation, Anaïs Blondet a fait un petit album décapant et à contrepied de la mode : une BD «girly qui vomit», ça fait du bien quand le «girly» fait vomir.
 
 
 
 
 
 
 
 
DESSOUS de Leela Corman . Cà & Là
À l’orée du siècle dernier, dans le quartier juif de New York, les femmes ont bien peu d’emprise sur leur vie. Fanya et Esther, deux sœurs jumelles qui grandissent dans une boutique de dessous fé- minins vont suivre des chemins opposés. Fanya milite pour l’avortement, Ester devient prostituée, femme entretenue, puis reine de la scène. Deux destins aussi puissants que le trait noir et dansant de l’auteur.
 
 
 
 
 
EN SILENCE d’Audrey Spiry . KSTR
Cet album prouve que la bande dessinée est bien un art et pas seulement une narration où l’image serait un véhicule secondaire. Nous saluons ici ce travail artistique et ces images qui voguent au fil d’une journée de canyoning agitée. Si le couple formée par Juliette et Luis risque de ne pas survivre aux remous de la rivière (et des sentiments), le talent d’Audrey, lui, en sort sublimé.
 
 
EUCLIDE de Cecily . Même pas mal
En une case par page, Euclide joue sur les décalages sur- réalistes, rendant hommage à la ligne claire et aux BD des années 40, que Cecily a découvert en lisant Dick Tracy. Un premier tome abouti où l’on suit la trajectoire d’Euclide qui cristallise tout ce que l’homme peut faire de pire à une femme. De la femme objet à la femme au foyer, de la mère à la putain, la dessinatrice reprend à son compte un com- bat féministe hélas encore d’actualité.
 
 
 

 
CHARONNE-BOU KADIR de Jeanne Puchol . éditions Tiresias- Le massacre du métro Charonne en 1962, replacé dans le contexte des deux dernières années de la Guerre d’Algérie (du referendum sur l’autodétermination à la signature des Accords d’Evian), est res- titué par Jeanne Puchol avec force, rigueur et tact. Le noir et blanc renforce le reportage, la fiction n’empêche pas la documentation. Un des meilleurs albums de Puchol.
 
 
 
LA GESTE D’AGLAÉ d’Anne Simon . Misma
Tout droit sortie de l’album Sergent Pepper’s des Beatles, Anne Simon s’inspire de Being for the Benefit of Mr Kite! pour camper l’univers onirique où se joue sa Geste d’Aglaé. Avec humour, les personnages valsent entre raison et passions. Aglaé, tour à tour, femme abusée, mariée de force, reine toute puissante, amoureuse et mère soumise joue l’héroïne de cette comédie humaine et féministe.
 
 
 
LA PETITE PESTE PHILOSOPHE de Vanna Vinci . éditions Marabulles
Vanna Vinci, Un Quino au féminin? Mais la gamine a les dents plus pointues que Mafalda. On ne pouffe pas à chaque vignette mais on apprécie l’esprit grinçant. Une petite fille pas infantile, ça change des adultes qui les sont trop souvent. Avant même de naître la “peste” semble avoir tout compris du monde où elle débarque, sinon pourquoi vouloir ne sortir du ventre de sa mère qu’en présence de son avocat ?
 
 
 
 
 
 
 
LA RONDE de Birgit Weyhe . Cambourakis
Au principe du récit-tourniquet mis en œuvre par Schnitzler dans sa célèbre pièce éponyme,BirgitWeyhe ajoute celui d’une traversée du siècle. Entre 1917 et 2011 se succèdent des portraits d’hommes et de femmes reliés par une médaille de baptême accrochée à une chaîne. En dépit de cadrages un peu répétitifs, le récit intéresse de bout en bout et surprend par de belles trouvailles graphiques.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
LE LIVRE DES NUAGES de Fabienne Loodts . Warum
Du beau roman de Chloe Aridjis, Fabienne Loodts traduit avec beaucoup de sensibilité le côté anxiogène du séjour de la jeune Mexicaine Tatiana à Berlin. Entre deux âges, entre deux nuances de gris, entre deux hommes – un vieil érudit qui revisite le doulou-
reux passé de la ville et un jeune métérologue amoureux du ciel –, la jeune femme se laisse dériver et nous fait partager sa mélancolie urbaine.
 
 
 
 
 
 
 
 
LES FILLES DE MONTPARNASSE de Nadja . Olivus
Fin XIXe. Quatre femmes, artistes sont confrontées à la domination masculine. Derrière la fiction, on devine Camille Claudel ou Yvette Guilbert. Dans ce premier tome, Amélie sauve un écrivain d’une crise d’inspiration – et s’en trouve récompensée par son «licenciement». Mais ces quatre-là ont de l’énergie à revendre – tout comme Nadja, dont l’art dynamique contraste avec l’atroce des situations.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
TU MOURRAS MOINS BÊTE T.2 de Marion Montaigne . Ankama
Avec ce deuxième opus du savoureux Tu mourras moins bête, issu de son blog, Marion Montaigne et son avatar le professeur Moustache s’attaquent au corps humain, ses mystères et ses misères. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’anatomie, les virus et bactéries, servi par un dessin et des commentaires hilarants qui n’en dissimulent pas moins une approche scientifique documentée et sérieuse.